Un système dissipatif en physique est une structure matérielle ouverte sur son environnement traversée par des flux d’énergie ou de matière. Lors de son passage, une partie de cette énergie est transformée en information. C’est-à-dire qu’elle crée de l’ordre localement, alors que globalement dans l’environnement le désordre, l’entropie, augmente. L’exemple est la consommation de nourriture par un organisme vivant ou la combustion d’essence dans un moteur.

Ces systèmes dissipatifs ont tendance à créer des structures et à s’auto-organiser de manière à dissiper le maximum d’énergie. Ce phénomène a été exposé de manière compréhensible par François Roddier (http://francois-roddier.fr/) qui a synthétisé les travaux de différents chercheurs dont en particulier Eric Chaisson, Ilya Prigogine, Per Bak, Roderick Dewar, Alfred Lotka, Richard Dawkins et autres.

Ces mécanismes dissipatifs se manifestent à toutes les échelles de fonctionnement de la matière, de l’univers aux molécules, de l’amibe à la société humaine, la technologie comprise.

Eric Chaisson a produit un graphique montrant l’évolution des structures dissipatives dans l’histoire de l’univers.  http://www.tufts.edu/as/wright_center/eric/reprints/big_history.pdf

Flux d’énergie à travers des structures en fonction du temps (années). D’après Eric Chaisson.

Il indique la quantité Φm d’énergie par seconde et par gramme traversant les différentes formes de matière en fonction du temps.(Rappel : 1 watt=10 E7 erg/s ). Il est intéressant de noter les ordres de grandeurs de ces valeurs de Φm:

Soleil : Φm= 2 erg/s/g = 4.10 E33 erg/s : 2.10 E33 g ; biosphère : Φm= 10E3 ; être humain : Φm= 10E4 ; cerveau humain : Φm= 10E5 ; société technologique : Φm= 10E6 erg/s/g

Donc, par unité de masse, le cerveau humain transiterait 50 000 fois plus de flux d’énergie que le soleil.

Plus un système est structuré plus il dissipe de l’énergie et plus accumule de l’information pour adapter sa structure et pour en dissiper davantage encore.

Il est intéressant, voire curieux, de noter que ce processus accompagne autant la matière dite inerte que la vivante.

Les êtres vivants sont pilotés par les gènes. Au cours de l’évolution des espèces, ils sont passés des êtres unicellulaires aux organismes complexes, végétaux et animaux, en augmentant cette dissipation d’énergie et cette acquisition d’informations sous forme de structures physiologiques et comportementales. Les civilisations et les technologies humaines constituent des bonds en avant dans ce sens. Les « mèmes » sont, selon Richard Dawkins, les équivalents des gènes dans le domaine culturel, s’appuyant sur les langages. Ils assurent le maintien, la reproduction et l’évolution des cultures.
La sélection naturelle des systèmes est conditionnée par l’énergie disponible dans l’environnement en évolution permanente. Les espèces animales et végétales s’adaptent à l’environnement changeant essentiellement par les mutations des gènes. Pour les humains, les mèmes culturels mutent pour s’adapter aux rigueurs de la nature et aux changements sociétaux. Une espèce disparaît si elle ne peut pas adapter suffisamment rapidement ses besoins énergétiques aux fluctuations de l’environnement. Le cerveau de l’homo sapiens a permis le développement de techniques agricoles, technologiques et politiques assurant jusqu’à présent sa survie et l’élimination de ses prédateurs.

La croissance exponentielle de la consommation spécifique d’énergie et de la diffusion de la société technologique humaine à l’échelle mondiale, posent à terme le problème de la disponibilité en énergie ainsi que celui du devenir des flux de déchets sortants toxiques et non recyclés. La population mondiale était de 1 milliard en 1800 et de 6 milliards en 2000.  Contrairement à la technosphère, dans la biosphère traditionnelle toute la matière organique est sans cesse recyclée. Elle sert de manière itérative à produire de l’information.

Au-delà des controverses politico-scientifiques concernant les effets anthropiques négatifs sur la nature, il paraît évident que ces croissances exponentielles, qui ont explosé avec l’ère industrielle, ne peuvent pas durer indéfiniment.

Les systèmes dissipatifs sont des structures fractales. Les zones de dissipation ne sont pas uniformément réparties. Il n’est pas évident que les zones de constitution d’information d’informations soient proportionnées à celles de la dissipation d’énergie. Il se crée des sous- systèmes dissipatifs qui utilisent l’ énergie du système pour créer leur propre ordre en rejetant  de l’entropie, du désordre vers l’intérieur du système sur-ordonné. La prédation dans le règne animal et dans les sociétés humaines en sont des exemples. Une certaine part de prédation au sein de tout système semble liée à sa pérennité. Elle participe aux cycles réguliers de construction et de destruction de matière et d’information qui caractérise le vivant.

La nature de l’information.

Le graphique d’Eric Chaisson indique donc que le flux d’énergie à travers une structure dissipative est une fonction croissante de la complexité de son contenu en information. Cette information s’inscrit dans les dispositions matérielles des éléments, les organes par exemple, ainsi que dans les processus de fonctionnement, les métabolismes par exemple. Le flux d’énergie traversant répond aux besoins mécaniques immédiats ainsi qu’à l’élaboration des modes de fonctionnement.

Le graphique laisse penser que la création d’information et de complexité, moteurs de l’évolution, est fatalement liée à la consommation et dissipation d’énergie.

L’information élaborée dans les galaxies, les étoiles et les planètes est a priori de l’ordre de la mécanique, celle des lois de Newton et de Kepler. L’information est stockée sous forme de spirales, de sphères, de mouvements orbitaux, etc. Des configurations nucléaires sont mises en place permettant l’ignition des étoiles et de nouveaux flux d’énergie à travers l’espace. L’infiniment petit et l’infiniment grand dans le cosmos sont intriqués. L’information créée sur Terre est la séparation de la lumière, des ténèbres, des eaux, de la terre, du ciel ainsi que la création de la vie, selon les multiples récits mythologiques de la Création.

Un climat planétaire est un système hautement complexe et chargé d’informations. Il traite des données relevant de la physique moléculaire de l’eau, de la mécanique des fluides, des rayonnements électromagnétiques, de la cosmologie, etc.  Sur Terre, il maintient les conditions physico-chimiques permettant la vie.

Le vivant intègre également plusieurs rationalités dans son fonctionnement, celle de la chimie organique, celle des métabolismes, celle des saisons, celle de l’espèce, celle de l’écosystème, celle de la nourriture et de la prédation.

L’humain est l’acteur de nouveaux bonds dans l’évolution de la nature de l’information. Pour la survie de l’espèce il a inventé la morale, avec les dieux pour la légitimer, les institutions et la technologie.

Je risquerais d’ajouter un néologisme pour caractériser les supports d’informations apparus dans l’univers au cours de l’évolution : le cème.

Le cème, avec C comme cosmos, il préside à la complexification de la matière dite inerte des étoiles aux particules élémentaires.

Le gène concerne la transmission des informations génétiques.

Le mème concerne la transmission des informations culturelles. (Richard Dawkins)

Le tème concerne la transmission des informations technologiques. (Susan Blackmore)

Les informations de ces cèmes , gènes, mèmes, tèmes sont inscrits dans la matière inerte, vivante, culturelle et technologique. Elles permettent de s’auto-reproduire et d’évoluer en utilisant l’énergie qui traverse les systèmes qu’elles structurent.

A chaque stade de l’évolution de l’univers ces cèmes, gènes, mèmes et tèmes ont été des propriétés émergentes de la complexification des stades antérieurs. L’évolution est un grand jeu de la matière, de l’énergie et de l’information.